Mille et un dessins d’Albert Marquet

Albert Marquet (1875-1947), Étude pour Les Deux Amies, vers 1912, huile sur panneau, 65 x 81 cm. Estimation : 40 000/50 000 euros. Dans un article de 1943, Henri Matisse évoque ainsi son ami de toujours : “Lorsque je vois Hokusai, je pense à notre Marquet et vice versa.” En effet, Marquet fut toute sa vie un prodigieux dessinateur, utilisant aussi bien le pinceau et l’encre de Chine, le fusain ou la mine de plomb, ou encore un stylo. Il s’agit de dessins obligatoires d’atelier, mais aussi des scènes, des traits, des gestes saisis au café Procope, de sa fenêtre, au détour d’une rue, le long d’un quai, ou encore sur un bateau. Il sait, comme le maître japonais auquel son grand ami l’a comparé, camper une silhouette ou une expression en un seul geste, ample et sans remords. Quelque mille dessins composent le programme de ces deux jours de vacation, classés par thèmes : dessins de jeunesse, copies de toiles de maîtres, nus d’atelier, autoportraits et portraits de son entourage, croquis parisiens, voyages en Europe, Afrique du Nord et dessins érotiques. Ces derniers sont peut-être l’aspect le plus méconnu de son oeuvre. Pourtant, on avait déjà remarqué la sensualité de ses nus comme Nu dit Nu fauve, peint en 1899, aux couleurs vibrantes et à la touche pointilliste. Marquet, Manguin et Camoin ont passé l’été de 1905 à Saint-Tropez, où notre artiste dessine les filles du Bar des roses. Ses paysages exposés au Salon d’automne ont pu choquer la critique, mais lui attirent un marchand, Eugène Druet. Jouissant d’une certaine aisance financière, il peut voyager, toujours à la poursuite de la magie de l’eau, emménager quai Saint-Michel, dans l’ancien atelier de Matisse, et engager des modèles. La plupart de ses nus et compositions érotiques datent des années 1910-1920. On peut y reconnaître un jeune modèle au corps élancé, Yvonne Berny, âgée de dix-sept ans, qui ne tarde pas à séduire l’artiste, l’accompagnant dans ses voyages jusqu’en 1922. Le tableau Les Deux Amies et les multiples dessins et études à l’huile datent de cette période. Le peintre hésite un temps entre bas rouges ou noirs, pose le modèle sur un dessus-de-lit à larges fleurs sur fond blanc, et multiplie les poses. Affaibli par une grippe en 1919, Marquet décide de passer l’hiver suivant au soleil, à Alger, muni de lettres de recommandation pour les personnalités susceptibles de l’accueillir et de le conseiller. L’une se nomme Marcelle Martinet, avec qui il part à la découverte des hauteurs de la ville et des points de vue sur la baie. Désormais, le couple réside en Afrique du Nord tous les hivers, soit à Alger, soit en Tunisie, ou encore au Maroc et en Égypte. Les années de guerre se passent dans un appartement à Alger, puis dans une maison de campagne au-dessus de Bab-el-Oued, achetée en 1942, et pour la dernière fois l’hiver précédant son décès. Les nus avaient depuis longtemps déserté ses toiles. Anne Foster - Gazette Drouot n° 34 du 08/10/10