Nature profonde

Wifredo Lam (1902-1982),
Sans titre, huile sur toile, signée, située « Habana » et datée 1945,
72,5 x 60 cm.
Estimation : 200 000/300 000 €.
Lundi 26 octobre, Génicourt. Aponem SVV. Cabinet Maréchaux.

Actuellement célébré par une rétrospective que lui consacre le Centre Pompidou, Wifredo Lam sera également mis à l’honneur par l’hôtel des ventes de Cergy-Pontoise. Si une étude de personnage exécutée à la plume sera proposée autour de 3 000 €, les amateurs devront débourser un montant cent fois plus important pour s’offrir la toile reproduite. Acquise directement auprès de l’artiste, elle est accompagnée d’un certificat délivré par Eskil Lam, le fils de ce dernier. Bien que l’œuvre ne soit pas titrée, on y retrouve les figures totémiques sur fond de cannes à sucre, faisant référence au temps de l’esclavage cubain. L’artiste explore ce sujet à partir de 1942, comme en témoigne La Grande Jungle, aux tons neutres, réalisée cette même année (musée national d’Art moderne), mais surtout l’éclatante Jungle de 1943, considérée comme l’un de ses chefs-d’œuvre (MoMA de New York). Rappelons qu’après avoir fui le territoire métropolitain, en guerre, un an plus tôt, Lam accoste en Martinique, où il fait la rencontre décisive d’Aimé Césaire. Entre ces deux hommes partageant une même quête identitaire se noue une amitié indéfectible, scellée par la visite de la luxuriante forêt d’Absalon, sur les hauteurs de Fort-de-France. Dans l’œuvre de chacun, la nature va revêtir une dimension symbolique et évoquer un retour aux sources : ce que le chantre de la négritude exprimera en mots, l’artiste afro-cubain le retranscrira en peinture. Comme une évidence, Lam regagne alors son pays natal, qu’il trouve méconnaissable, près de vingt ans après l’avoir quitté. Se libérant de l’influence de son ami Picasso et de celle des surréalistes, il s’engage dans une voie personnelle, cherchant à renouer avec sa propre culture. L’élongation des figures, les cornes et autres protubérances déjà apparues quelques années plus tôt dans ses tableaux prennent tout leur sens, sortes de réminiscences de rituels ancestraux, que le peintre redécouvre grâce à l’écrivain et ethnologue cubaine Lydia Cabrera.
Gazette 36 du 23 octobre 2015